• Le poison

                               Mon poison

     

    Le noir est ma passion ; la haine est mon désir. La pitié n'existe pas. Les pleurs varient selon les saisons. Je ne suis plus qu'une personne, veillant à son poison. Je m'en injecte sans arrêt, sinon je sue, je pleure, je meurs. Je vole, vole avec les ailes des autres. Je dépends de tout, mes parents sont absents pour m'aider. Je me cache de cette souffrance en moi si profonde, d'avoir perdu l'ami, dans un sentier de promenade. Je l'ai vu mort en ce bel été ; je l'ai vu souffrir atrocement. Il savait qu'il mourait, je n'ai pas pu accepté. Pour oublier d'être, je suis devenu autre, j'ai joué avec le poison, je joue avec ma vie. Maintenant, sans ça, je meurs. Atrocement.

    On m'a éduqué semblable à la normalité, on m'a tout appris, tout inculqué de façon claire. Jamais je n'aurais pensé qu'un jour, je puisse jouer ainsi avec tant de choses, avec la mort. Mes parents sont avec moi, mais je ne les voie pas, parce que je ne voie plus personne. Il y a en moi cette aveuglante idée de poison qui surgit tous les jours, toutes les heures, je continue à m'en injecter. Plus je le fais, plus on me rejette. Je n'ai plus de sous, je vole encore, c'est une vie morose dont je mène actuellement. Je me souviens tant de cette souffrance que mon bel ami a dû supporter, juste avant de mourir, juste avant de sombrer dans l'éternelle nuit. Je veux mourir, mais j'ai trop peur, j'ai vingt-cinq ans. Il est certain que ce n'est pas l'âge idéal, je le sais mais je suis rentré dans le cercle vicieux de mon poison que j'aime tant. Je l'aime comme j'aimais mon ami, j'y pensais constamment, j'y pense toujours, je n'en peux plus. Que dois-je faire ?

    Non ! je refuse d'être enfermé et d'être attaché, pour souffrir de ce manque de mon poison. Je me débats, je frappe les gens, mes parents, mon frère s'y met aussi. Tous sont contre moi, seulement parce que j'aime mon poison, que je ne peux pas m'en débarrasser, on m'insulte de voleur, on me trouve des milliers de défauts. Sur les murs de ma chambre, ma mère, prise d'une crise de colère a écrit : TOXICO ! Je me suis jeté dessus, j'ai voulu l'effacer de mon sang qui coule mais c'est resté dans ma mémoire. J'ai finalement opté pour l'abandon de ma famille qui ne comprennent pas mes désirs, ni mes difficultés. Ils n'ont pas vu comment il est mort, cette balle qui a traversé sa jambe, puis sa tête. Ils ne l'ont pas vu dire qu'il partait loin, ni parler avec son sang sortant abondamment de sa bouche. Ils ne l'ont pas senti sur eux, cette main qui pinçait pour éviter de souffrir. Ils ne sont pas revenu en pleurs à la maison, sans comprendre la réalité. Je n'étais là qu'un jeune adulte qui commençait à croire en sa vie.

    Sur le chemin de la fuite, il a fallu que je vole encore trois sacs à main pour tenter d'échapper à la mort, par manque de mon oxygène. Pedro est là qui me regarde, il a gagné, sans lui, je meurs, et grâce à lui, je meurs aussi. Aujourd'hui, j'en ai trop pris, je n'ai pas cessé d'en acheter, je m'en injecte sans cesse. Voici à ma première overdose en trois ans. Les mèdecins me sauvent une première fois mais me laisse partir sans rien de cet hôpital. Suite à ma deuxième, ils préfèrent me laisser en cure de désintoxication car mon état s'aggrave. Les psys, les calmants sont présents, ma famille est de retour, ils essaient de me prendre la main mais je redoute tout leur amour, je les frappe, dédaigne leurs paroles. Je hais les gens sur cette Terre mais il y a une personne qui je déteste, que je ne peux regarder, que je voudrais tuer, sans le pouvoir, c'est seulement moi, mon moi-même, mon existence. Je ne suis rien. Qu'un homme incapable de se prendre en charge, qui fait mal aux gens, qui refusent de se soigner. Les mois se prolongent et deviennent difficiles, il est très dur de se sortir de là. Tant que je n'en aurais pas la volonté, je ne pourrais jamais y arriver. Les médecins ne cèdent pas, ils n'ont plus peur de mes paroles, ni de mes gestes brusques. Dans les couloirs, les gens ne diffèrent pas, nous sommes tous pris au piège par notre manque de vigilance, mais surtout par notre manque de force. On n'arrive plus à me sortir de là, je suis perdu à jamais.

    Et pourtant, j'ai encore peur de mourir, on dirait qu'au fond de moi, je n'arriverais jamais à franchir le cap d'un éventuel suicide. Mon ami aurait été si content de vivre. Pourquoi je ne prolongerais pas ma vie ? Pourquoi ne suis-je pas capable d'exister ? Dans mon étage, il y a eu trois suicides en un an, ils me surveillent sans arrêt. Ils m'arrivent de piquer de grosses colères mais elles s'espacent. Certains parlent de s'en sortir, je ne parle que de rentrer encore plus dans la misère du monde. Tout mon cerveau est malade de mon poison, de mes cachets. Les gens me regardent sans me regarder, ou bien vomissent de le faire. Je ne peux plus sortir dans la rue, on m'enferme tel un fou. Mais je le suis. Je suis le fou de la famille, celui qui détruit l'être entier d'un univers d'une beauté exemplaire ; ma maman. Elle me hait comme elle m'aime encore. Bientôt, elle ne me rendra plus visite. Elle a bien trop peur des mes gestes et de mes paroles. Je ne sais plus ce que je dis et pourtant les médecins parlent d'un départ. Je comprends rapidement que le départ se situe dans un hôpital psychiatrique. Cette fois, je suis vraiment fou. Je refuse de manger, je refuse de marcher, en fait, la vie elle-même me refuse, ce n'est pas moi qui ne veut plus vivre. On me perfuse, on m'injecte encore des choses comme si ça ne me suffisait pas. Je me laisse mourir à petit feu, je me sens prêt à le faire. J'ai honte de moi et de mes désirs. Il est impossible de sortir de cet hôpital, tout est verrouillé, tout y est fait pour qu'on y vive. Je n'ai plus de cachets car ce sont les infirmières qui me les portent un par un. Comment faire ? Je demande ma mort par écrit, je consulte encore plus de psychologues. Je suis obligé de sortir pour ne pas mourir ici, j'assomme les infirmières et les docteurs pour prendre la fuite. Je prends les clés et peux sortir énergiquement par la fenêtre. J'emprunte un petit chantier. Je reviens discrètement chez moi, monte dans mon grenier et je me pends. Je ne suis qu'égoïste, lâche, incapable.

     

    Il a eu tort de se tuer. Il a détruit sa famille.


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